Crédits immobiliers en devises : une réappréciation majeure du risque de change par la Cour de cassation
L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 juillet 2025 (pourvoi n° 24-19.647) marque un tournant décisif dans le contentieux bancaire. Ce revirement de jurisprudence concerne spécifiquement les prêts libellés en francs suisses. Il modifie en profondeur les obligations des établissements bancaires et vient renforcer la protection des emprunteurs, en particulier celle des travailleurs frontaliers.
L'abandon de l'analyse statique du risque
Pendant près de deux décennies, la position des tribunaux français reposait sur une logique stricte. La justice considérait qu'il n'y avait pas de risque de change dès lors que l'emprunteur percevait ses revenus dans la devise du prêt au moment de la souscription. En résumé, si un frontalier gagnait sa vie en francs suisses et remboursait en francs suisses, il était réputé ne pas subir les variations du taux de change euro/CHF.
Cette approche figeait la situation contractuelle au jour de la signature. Or, par cet arrêt du 9 juillet 2025, la Haute Juridiction abandonne cette vision instantanée pour adopter une approche dynamique. Elle reconnaît désormais qu’un prêt immobilier, qui engage l’emprunteur sur vingt ou vingt-cinq ans, ne peut être analysé uniquement au regard de sa situation initiale.
Les juges doivent dorénavant prendre en compte la durée globale d'exécution du contrat. La Cour valide ainsi le fait que la parité des revenus et des échéances n'est pas immuable. Les accidents de la vie, tels qu'un licenciement, une retraite ou un retour à l'emploi en France, peuvent contraindre l'emprunteur à rembourser son crédit avec des revenus en euros. Il se trouve alors exposé à la volatilité du marché des changes.
Une obligation d’information bancaire renforcée
Cette décision aligne le droit français sur les exigences de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). La conséquence juridique est immédiate : la banque ne peut plus se contenter de vérifier la devise des revenus au jour de l’octroi du crédit.
Il pèse désormais sur l'établissement prêteur une obligation d’information beaucoup plus dense. La banque doit démontrer qu'elle a alerté l'emprunteur sur les risques économiques concrets pouvant survenir tout au long de la vie du prêt. L'information doit être claire, intelligible et complète. Elle doit permettre au client de mesurer l'impact financier d'une dépréciation de l'euro par rapport au franc suisse, même si cette hypothèse semblait peu probable lors de la signature.
Vers de nouvelles perspectives contentieuses
Ce changement de doctrine offre des arguments juridiques renouvelés pour les emprunteurs en difficulté. En reconnaissant que le risque de change existe même pour ceux qui percevaient initialement des revenus en devises, la Cour de cassation facilite la contestation des clauses contractuelles ou le défaut de mise en garde.
Concrètement, les travailleurs frontaliers ayant vu leur capital restant dû augmenter suite aux fluctuations monétaires disposent aujourd'hui d'un levier pour engager la responsabilité de leur banque. Cette décision rappelle que le devoir de loyauté du banquier doit anticiper la réalité économique de long terme.
Il convient désormais d'analyser chaque dossier avec précision pour déterminer si, au regard de cette nouvelle jurisprudence, des actions en nullité ou en responsabilité peuvent être utilement engagées. Une vérification rigoureuse des délais de prescription reste toutefois indispensable avant toute procédure.