Conventions réglementées : quand l'oubli de la procédure suffit à caractériser la faute du dirigeant
Le droit des sociétés impose une rigueur particulière lorsqu'un dirigeant conclut un accord avec l'entreprise qu'il dirige. Ce mécanisme, connu sous le nom de convention réglementée, vise à éviter les conflits d'intérêts. Une décision récente de la Cour de cassation, en date du 17 septembre 2025, vient durcir considérablement la responsabilité des mandataires sociaux en la matière.
Le mécanisme de protection des conventions réglementées
Dans les sociétés anonymes, les articles L. 225-86 et suivants du Code de commerce imposent un contrôle strict. Toute convention intervenant entre la société et l'un de ses dirigeants (ou une personne interposée) doit faire l'objet d'une autorisation préalable du conseil d'administration ou de surveillance.
L'objectif est la transparence : le conseil doit évaluer l'intérêt de l'accord pour la société. Si cette procédure n'est pas respectée, la convention peut être annulée, mais seulement si elle a causé un préjudice à la société. Cependant, la question de la responsabilité personnelle du dirigeant obéit désormais à une logique plus sévère.
Une faute de gestion constituée par la seule absence d'autorisation
L'apport majeur de l'arrêt du 17 septembre 2025 réside dans la définition de la faute. Dans cette affaire, un président du directoire avait mis en place un avantage financier personnel sans solliciter l'accord du conseil de surveillance. Pour sa défense, il argüait de sa bonne foi et de l'absence de manœuvres frauduleuses.
La Cour de cassation a rejeté cette approche subjective. Elle pose le principe selon lequel le non-respect de la procédure d’autorisation constitue, à lui seul, une faute de gestion.
Il n'est donc plus nécessaire pour la société de prouver une intention de nuire, une dissimulation ou une fraude. La simple violation des dispositions législatives, c'est-à-dire l'omission de demander l'autorisation, suffit à engager la responsabilité civile du dirigeant. Il s'agit d'une faute objective.
Distinction entre nullité du contrat et responsabilité du dirigeant
Il est crucial pour les dirigeants de bien distinguer deux sanctions :
- La nullité de la convention : Elle reste facultative. Elle ne sera prononcée par le juge que si la convention a eu des conséquences dommageables pour la société.
- La responsabilité du dirigeant : Elle est désormais quasi-automatique dès lors que le formalisme n'est pas respecté.
Ainsi, même si une convention est économiquement neutre, voire profitable pour l'entreprise, le dirigeant peut être sanctionné pour avoir négligé la procédure. Cette jurisprudence renforce l'obligation de loyauté et de conformité.
Une vigilance accrue nécessaire
Cette décision doit inciter les dirigeants et les conseils juridiques à une extrême prudence. La régularisation a posteriori n'efface pas la faute de gestion initiale.
Pour se prémunir contre ce risque, il est impératif de tenir un registre des conventions à jour et de soumettre systématiquement tout accord susceptible de créer un conflit d'intérêts à l'approbation de l'organe de contrôle. Le rôle des commissaires aux comptes s'en trouve également renforcé, car ils doivent signaler toute irrégularité dans leur rapport spécial.
En définitive, cette jurisprudence marque une étape importante dans la moralisation de la vie des affaires. La Cour de cassation signale aux dirigeants que le respect du formalisme n'est pas une simple option administrative, mais une obligation fondamentale de gouvernance. Le défaut d'autorisation n'est plus une simple erreur technique, c'est une faute professionnelle susceptible d'entraîner des condamnations financières lourdes, indépendamment de toute malhonnêteté.